Récit no. 17
Récit no. 17
J’ai déjà lu quelque part, dans un livre ancien de sagesse, que c’est le vide contenu par un vase qui lui donne sa valeur et son utilité. Les motifs et les couleurs du vase, finalement, sont en quelque sorte secondaires. Ils prêtent certainement une beauté à l’objet, mais l’essence du récipient est l’espace vide qu’il contient.
C’est cette réflexion qui m’est venue à l’esprit après avoir animé la soirée open mic de L’Autre Laurentides en janvier dernier. Un lieu a certainement sa géographie propre, son histoire, ses gens, ses saisons et ses charmes, mais c’est le potentiel à venir d’un lieu qui lui confère une magie créative et régénératrice. Sinon, le résultat serait toujours prévisible. Sinon, chaque nouvel·lle arrivant·e vivrait la même histoire et les mêmes péripéties. Ce potentiel est en quelque sorte un espace où s’arrimer et créer quelque chose d’inattendu.
Mais on ne peut pas seulement imposer sa personne à un nouveau lieu. Notre expérience épouse les contours de celui-ci, comme le liquide contenu dans un vase qui finit par emprunter les formes de l’objet qui le contient. Ce processus a des allures de dialogue, de danse par laquelle on découvre le rythme sur lequel on danse au fur et à mesure qu’on embarque dans sa musique. C’est en ce sens que je pourrais dire qu’au courant de la soirée, j’ai découvert non pas ce que L’Autre Laurentides a fait vivre à ses habitant·es, mais plutôt ce que ses habitant·es ont fait vivre à L’Autre Laurentides.
J’ai pu entendre des récits de résilience à travers lesquels le besoin de former un chez-soi a dû faire face à des défis de taille. Un nid permet de braver les intempéries au chaud, mais parfois c’est la confection du nid lui-même qui s’avère être le défi. Une des histoires les plus poignantes racontait comment ce qui devait être le conte de fées d’une nouvelle vie dans une nouvelle demeure s’est transformé en une bataille pour sauvegarder les fondations de la maison et de la santé mentale de ses nouvelles occupantes. Vice caché, moisissures, aire de vie insalubre. Un drame, très certainement, mais un drame qui, une fois raconté, mettait en lumière les va-et-vient entre le désespoir et l’héroïsme des habitantes. Des va-et-vient qui ont été nécessaires pour finalement pouvoir dire avec confiance : on est arrivées chez nous.
Antoine et Léoloup
Photo Christel Bourque
Ou encore, entendre les émotions conflictuelles d’une personne investie d’une quête pour reprendre contact avec ses racines, alors qu’un endroit qui devrait déjà percevoir notre présence de façon familière s’entête parfois à nous rappeler la raison pour laquelle on a l’air différent·e des autres.
C’est aussi une soirée pendant laquelle j’ai pu observer l’émerveillement d’une personne qui découvre et apprend comment jouer avec le monde nouveau qui l’entoure. Un père partageant avec son fils le goût des vastes espaces naturels, des récits de pêche fabuleux où un simple poisson devient le symbole d’une mystérieuse et grande aventure digne d’être racontée devant un public hameçonné à son tour.
Antoine et Léoloup
Photo Christel Bourque
Une animatrice de radio de la grande ville qui sort de l’école et qui fait ses premiers pas professionnels dans un environnement jamais vu auparavant, où l’échelle humaine à travers laquelle on expérimente et on évolue prête aussitôt une importance significative à nos mots et à notre voix. Écouter une globe-trotteuse nous faire la narration du parcours lointain franchi aux quatre coins de la planète pour finalement mener à la découverte que le monde entier se cache peut-être dans un petit coin de secrets bien gardés des Laurentides. Planer ensemble grâce à la poésie de celle qui souhaite marquer son passage et ancrer sa présence en renouant avec le courage de la scène. Vibrer à l’unisson pendant ces moments de bravoure où il est permis de dire à haute voix les mots ressentis dans l’intimité d’une solitude.
C’est donc avec une surprise plusieurs fois renouvelée au courant de la soirée que j’ai pu découvrir le bagage unique de chaque personne qui partage avec le public le contenu de son Autre Laurentides. Chacune de ces versions apportait une nouvelle teinte à l’image qui se dessinait collectivement, et les couleurs du vase dans lequel on se trouvait toutes et tous changeaient au fur et à mesure que le vase se remplissait des histoires et des anecdotes des personnes qui montaient sur scène. Chaque fois que j’essayais de mettre le doigt dessus, ça changeait à nouveau. Et c’est là que ça m’a frappé : ici, c’est vous autres.
La LIMOL
Photo Christel Bourque
Écoute le balado «Je suis L’Autre Laurentides» pour continuer cette réflexion créative sur le thème de l’attachement et pour entendre les témoignages colorés des participant·es!
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